ombre_haut_gauche
ombre_haut_droite

Nude Art Today 2, préface d’Eric Patou

NudeArt2

La nudité artistique diffère de la nudité réelle. Un espace à part la protège, l’espace symbolique de l’art. Les codes de sa représentation se restructurent selon l’esprit des époques. Représenter le corps nu n’est pas un geste libre, ni un geste innocent, mais un geste artistique. La frontière entre « pudeur et viol de l’intimité » est fragile. Sa représentation doit être « présentabilité ».

Le modèle grec

Les Grecs créèrent leurs dieux à leur image. La foi dans la beauté du corps masculin représentait pour eux une ethique, une esthétique et une philosophie. L’expression Kalos kaghatos (être bon et vertueux) était leur devise. Des lois mathématiques présidaient à l’érection de leurs statues dépassant à travers l’art le caractère naturaliste du corps humain. La symétrie, la souplesse, l’équilibre sont des notions spirituelles qui confirment leur perfection. « L’art complète ce que la nature ne sait pas achever, l’artiste nous révèle les dessins irréalisés de la nature », écrit Aristote.
Êtres imparfaits, « mâles inachevés », le corps de la femme était à leurs yeux mystère et tabou. Il est drapé, ou bien ridiculisé. Sur des vases en argile on voit des femmes nues de profil avec des leur nez interminable, à peine esquissées, se tortillant, se frottant, cachées par un jet d’eau. Le corps fémini est associé à à l’hygiène, comme pour conjurer un sort. Le premier nu féminin idéalisé de l’histoire, c’est la Vénus de Cnide de Praxitèle, au IVe siècle avant J.C. La déesse de l’amour s’apprête, elle aussi, à rentrer dans le bain rituel. La position de son bras droit souligne élégamment le mystère qui entoure son sexe. Dans les mentalités, une crainte humaine, trop humaine s’installe au grand jour, le corps féminin éveille le désir. Les milliers de nus, copies des anciens dieux encombrent aujourd’hui les salles de nos musés. Les nus qui ornent leurs cimaises nous font oublier que, bien avant qu’ils deviennent le cheval de bataille de l’Académie, le nu dans dans l’art est avant tout de nature sacré.
Religion de l’incarnation, la culture chrétienne condamne non pas le nu, mais l’idolâtrie païenne liée à son orgueilleuse beauté. Le péché originel, le peché de la chair, impose une représentation humble du corps. Pendant mille ans, le nu disparaîrtra pratiquement des arts de l’Occident chrétien et de l’Orient grec, « à l’exception des images du baptème du Christe et de sa crucifiction », remarque l’historien Marc Fumaroli. La théologie médievale invente des distinctions subtiles définissants la nudité autorisée dans l’art : nuditas naturalis (état de nature), nuditas criminalis (débauche et vanité), nuditas temporalis (pauvreté), nuditas virtualis, (innocence), notre héritage culturel.

Le nu masculin et le nu féminin

Le nu féminin et le nu masculin évoquent deux ordres de beauté possible qui s’affrontent. Le nu féminin l’emportera. Démiurge impuni, Michel-Ange exalte le nu masculin jusqu’à l’extrême. Il sera le dernier. L’architecture onduleuse et compliquée du corps féminin enthousiasme les artistes de la Renaissance. La prédominance du nu féminin sur le nu masculin, qui se manifèste pour la premiere fois dans le Jugement de Paris de Raphäel, devait s’accroitre pendant les deux siècles suivants et devenir absolue au XIXe siècle, obsèrve l’historien d’art anglais Kenneth Clark. « Le nu masculin conserva sa place dans le programme d’études des écoles d’art fidèles à l’idéal classique, mais il est dessiné et peint avec un enthousiasme décroissant, et lorque l’on nous parle d’études ou « académie » de cette époque », nous présumons que le sujet en sera une femme. » La révolte contre l’Académie des artistes du XXe siecle passe inévitablement par la mise à mort symbolique du nu. En 1907, Les Demoiselles d’Avignon de Picasso choquent ses amis peintres, Matisse et Braque, précisément parce que le peintre catalan s’est attaqué, avec une violence sans précédents, à la représentation canonique du nu. Avant lui, Manet inaugura la modernité d’une manière non moins iconoclaste. Ses nus dans le Déjeuner sur l’herbe et ensuite dans sa toile intitulée Olympia rappellent les premiers grands inventeurs de nus féminins de la Renaisance, Raphaël, Giorgione et Titien. Ses oeuvres choquent pour les mêmes raisons que Vénus de Cnide de Praxitèle choqua les siens. Le nu féminin éveille le désir.
Les artistes contemporains continuent à exploiter le « système de référence » que représente toujours le nu. Pour eux, la frontière entre pudeur et viol de l’intimité est sans cesse réinterprétée.

ombre_bas_droite
ombre_bas_gauche