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Nature Art Today, préface d’Eric Patou

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Le paysage, un genre récent

L’apparition du paysage dans l’histoire de l’art en tant que genre pictural autonome est un évènement relativement récent. Les scènes de chasse évoquant les paysages nilotiques sur les tombes égyptiennes prouvent cependant que les artistes antiques n’ont jamais ignoré la nature. Seulement leur art vivant était dédié à l’au-delà. De même que les arbres, rivières, montagnes, poissons et animaux sur les fresques de Pompéi et Herculanum incarnent l’esprit païen dans la civilisation greco-romaine. L’Eden perdu dans l’iconographie chrétienne symbolise la nature au point où elle nous apparaît sage et domestiquée. En effet, la relation que l’homme entretient avec la nature est fondée sur une ambiguïté originelle, la dialectique du sacré et du profane initiant depuis des temps immémoriaux, l’unité de la nature et de la culture. Le mot paysage vient de la peinture. Il apparaît à la Renaissance et il évoque un panorama, une vue en perspective sur le pays : « A travers le vide d’une fenêtre, ou de n’importe quel bon vouloir d’une ouverture, il apparaît au loin un paysage dans des tons estompés ». Vierges à l’enfant, Annonciations et même le portrait de la Joconde sont situés à cette époque sur un fond de paysages savamment imaginé. Mais, « faire du paysage le sujet même de la peinture en gardant les personnages à l’état d’accesoires » a été un geste nouveau. Le peintre Dinantais Joachim Patinir qu’Albert Dürer admirait et surnommait « der gute Landschaftmaler » (le bon peintre du paysage) en fut peut-être le premier.

La peinture du paysage interroge la nature

Il n’est pas étonnant si l’âge d’or du paysage a été le XVIIe siècle siècle hollandais. La bourgeoisie protestante hostile à la peinture religieuse et d’histoire encourage le regard direct que les artistes posent désormais sur le monde. Ciels ennuagés, champs à perte de vue, arbres, chemins, moulins, villes lointaines, sont peints pour eux-mêmes. Dans leurs œuvres, la présence des humbles voyageurs humanise la terre dont ils font humblement partie. Au même moment dans l’Europe catholique, les paysages héroïques et idéalisés de Nicolas Poussin, comme ceux de son compatriote Claude Lorrain, respectent encore la vision organisée du monde en tant que spectacle harmonieux qui plaît à Dieu… Les paysages de Turner rompent avec cette noble tradition. Incendies, tempêtes de neige, mer déchaînée, les éléments de la nature s’affrontent, la matière s’exprime et s’éprouve, l’idée du chaos originel affirme une conception d’une nature effrayante. La nature inspire aux romantiques les inquiétudes de l’âme et de la révolte de la passion sur la raison : « Voilà un homme qui a découvert la tragédie du paysage ! », écrit le sculpteur français David d’Angers à propos des paysages du peintre allemand Caspar Friedrich. A la fin du XIXe siècle en France, les peintres impressionnistes plantent leur chevalet en plein air, et cessent de finir leur croquis dans l’atelier. Confrontés à la lumière changeante des heures et des saisons, ils peignent vite, ils peignent l’instant. Leurs points et virgules colorés font disparaître les contours des choses. Les Nymphéas de Claude Monet, ce chef d’oeuvre d’après nature est-il encore un paysage ? Le mot de Cézanne, « traiter la nature par le cône, le cylindre et la sphère », marque un tournant décisif. La peinture devient concept. Les pommes de Cézanne, personne ne songe à les croquer.

La redécouverte contemporaine du paysage

Les grands moments de la redécouverte du paysage à la fin des années soixante ignorent les pinceaux. Les artisans du land art anglais et américain imposent un véritable rapport entre le paysage et leurs créations artistiques. Au Nouveau Mexique, dans une région connue pour ses orages violents, l’artiste américain Walter de Maria installe quatre cent mâts d’acier dans le but d’attirer la foudre : The Lightning Field, 1997. Ce geste démiurge cherchant à canaliser les forces dangereuses de la nature rappelle le mythe de Prométhée, l’homme qui a volé le feu aux dieux. Aujourd’hui, la conception de la nature et de la culture artistique du paysage rejoint les inquiétudes écologiques, politiques, sociologiques, ethnographiques : « J’ai vu la nature mourir, et cela m’a touché existentiellement » déclare dans une interview l’artiste bavarois Nils Udo. Belles, gracieuses et fragiles, ses œuvres conçues in situ enferment les mystères qui lient indéniablement l’être humain à la nature… C’est étrange, mais aujourd’hui encore, face à la nature, l’esprit créateur humain cherche les traces du sacré.

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