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Nature Art Today 2, préface de Francis Parent

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L’histoire du paysage

Les dieux moitié hommes moitié bêtes sortent du flanc de nature pour protéger l’ancienne Egypte. En perdant leur fonction religieuse, ils sont devenus à nos yeux des oeuvres d’art mystérieuses. Consubstantiel au sacré, l’art a depuis longtemps oublié ses origines. Nature et culture, art et nature, sujet et objet confondent leurs vérités en confrontant leurs beautés.
Chevaux, taureaux, oiseaux, fleurs, fruits, insectes, reptiles, montagnes, arbres… l’art connaît la nature sous toutes ses formes. Le houx, le houblon, le chardon, le chou frisé, la chicorée, l’algue marine ornent les chapiteaux des églises romanes. Les sculpteurs du Moyen Âge cherchaient leurs modèles dans les champs de leur pays. Les arabesques de l’Orient explorent la beauté de la flore et de la faune dans leur écriture stylisée.
L’artiste chrétien représente la nature de façon fragmentaire en la traduisant dans un langage codé et symbolique : les roses représentent la Vierge, la salamandre de François 1er est célèbre (cf. Chambord). Obsédé par l’oeuvre du diable, le pieux Jérôme Bosch peint des animaux étranges, des fruits géants pour signifier que le pêché brûle l’homme et la femme chassés du Paradis.
L’occident a créé une nature soumise à sa foi, une nature spirituelle au service de son aventure intellectualisée. Sur un fond de paysage imaginé, l’occident souhaite voir dans les tableaux, les scènes religieuses, les souvenirs mythologiques et les fragments de son histoire glorieuse évoquant aux hommes cultivés, le beau, le bien, les nobles modèles à suivre. Il était impensable d’admirer le quotidien en tant que tel; un village vu de loin, un paysan en train de travailler dans les champs, etc. Les scènes de la vie bucolique ne pouvaient pas inspirer les grandes et nobles valeurs que l’homme cultivé se faisait un devoir de perpétuer. Encore moins la nature morte : une fleur en train de mourir, un faisan, une raie… quels nobles sentiments pouvaient-ils nous insuffler ?
Le paysage dans l’art n’était donc pas valorisé pour lui-même. Il a fallu attendre la Renaissance pour qu’on puisse le voir, le cadrer, lui donner de la profondeur et la réalité laïque qu’il n’avait pas. Sous la plume du jésuite italien Daniello Bartoli un nouveau mot est lancé : « À travers le vide d’une fenêtre, ou de n’importe quel bon vouloir d’une ouverture, il apparaît au loin un paysage dans des tons estompés. »

Le paysage au premier plan

Au XVIIe siècle la Flandre de la Réforme, débarrassée des écrasantes images religieuses, découvre un nouvel aspect du monde. Le paysage initie dès lors son entrée dans l’histoire de l’art comme genre pictural indépendant. Albrecht Dürer salue les toiles de Joachim Patinir, le premier peintre à montrer des montagnes et des vallées où l’être humain est passé au second plan. Il l’appela Der gut Landschaftsmaler, « le bon peintre du paysage ».
« Qu’est ce donc la Nature ? Elle n’est pas la Mère qui nous enfanta. Elle est notre création (affirme Oscar Wilde dans Le déclin du Mensonge). C’est dans notre cerveau qu’elle s’éveille à la vie. Les choses sont parce que nous les voyons, et ce que nous voyons et comment nous les voyons dépend des arts qui nous ont influencés [...].
Cette blanche et frissonnante lumière que l’on voit maintenant en France, avec ses étranges granulations mauves et ses mouvantes ombres violettes est sa dernière fantaisie et la Nature, en somme, la produit d’admirable façon. Là où elle nous donnait des Corot ou des Daubigny, elle nous donne maintenant des Monet exquis et des Pissarro enchanteurs. En vérité, il y a des moments rares, il est vrai, qu’on peut cependant observer de temps à autre, où la Nature devient absolument moderne […]. Les couchers de soleil sont tout à fait passés de mode. Ils appartiennent au temps où Turner était le dernier mot de l’art. Les admirer est un signe marquant de provincialisme » conclut-il en fixant dans cette phrase la force du Romantisme qui questionne la nature directement, sans l’aide de Dieu.
En 1913, dans La colline inspirée, Maurice Barres nous apostrophe à son tour : « Ils ont passé à Aix, ils ont vécu à Aix, ils ont écrit sur Aix. Et pourtant dans leurs propos, la Sainte Victoire est la grande absente. » Mais quand Cézanne a commencé à la regarder, il lui a imposé ses règles, les deux dimensions et ses lois avec des cônes, des cubes et des cylindres. Finie la perspective, finie l’illusion, on ne regarde plus la nature à travers le bon vouloir d’une ouverture, la peinture est définitivement une entité à part entière comme elle l’a toujours été, avec ses tâches de couleur et sa matière picturale. Elle n’est plus la représentation picturale d’un beau illusoire et abstrait, ni l’imitation de la réalité.
À la recherche de la face cachée de la nature, les cubistes imposent la peinture contre la nature. Dans le plus fébrile des paysages expressionnistes, comme le Champ de blé de Van Gogh, ou le Cri de Munch, la nature humaine et la nature sauvage confondent leur origine dans des traits effrayants et dans la couleur criarde et désespérée de leur art: « Le beau fut celui sur lequel s’accordaient les hommes cultivés, indifférents à la peinture » écrivait Malraux. Avant la modernité, on ne voulait pas le savoir.
Les deux guerres mondiales ont défigurés les contours du monde. Il ne faut donc pas s’étonner alors qu’un artiste comme rescapé du carnage, Joseph Beuys, avec son bâton de voyageur et son feutre, revienne à la nature tel le fils prodigue vers la maison de son père, laissant les pinceaux de la représentation derrière lui. Ses performances annoncent une nouvelle attitude de l’artiste face à la nature, une conscience qui passe par nos cinq sens. L’écologie qu’il salue dans son art est cette doctrine plus vaste que la contemplation de la nature avec les yeux de l’âme. Elle vise une conscience éveillée à une meilleure adaptation de l’homme à son environnement.

Le Land Art, dialogue avec la nature

Dans les années 1970, les artistes américains du Land Art fuient leurs villes et se lancent dans un bras de fer sans précédent avec les forces de la nature. Par exemple, les quatre cents piquets en acier hauts de sept mètres installés au Nouveau-Mexique par Walter de Maria, et qui, tels des paratonnerres, attirent la foudre, provoquant un spectacle d’une beauté surhumaine. L’idée du sublime conçue deux cents ans auparavant par les Romantiques trouvait dans cette oeuvre son ultime matérialisation.
Où en est-on aujourd’hui du paysage et de cette nature que l’art a exaltée, démembrée, modifiée, au cours des siècles ? Dans ce domaine comme dans bien d’autres, la photographie a gagné beaucoup de terrain. Les photographes contemporains posent leur objectif sur des territoires conquis, détruits, mondialisés. Les uns, par exemple, soulignent l’inconfort de l’habitat dans un environnement naturel tronqué, d’autres expriment l’ennui face aux territoires utilisés pour des besoins utilitaires. A noter que la réalité du paysage urbain que ces photographes observent ou bien dénoncent, prend beaucoup de place dans l’art contemporain.
À travers les technologies modernes, beaucoup de jeunes artistes ouvrent des espaces virtuels. La peur des catastrophes qu’ils mettent en scène atteste que l’humanité n’a pas confiance dans la science, ni dans le progrès. Le retour marqué à la fiction, à la légende, au rêve, prouve que l’être humain a besoin de se raconter des histoires. Comme les anciens Egyptiens inventant leurs dieux, les artistes inventent de nouvelles mythologies.
L’oeil du grand artiste contemporain Gerhardt Richter redécouvre les contrées calmes et apaisées de la nature. Ses photographies de paysage équilibrent notre regard. « Le classicisme est ce qui me permet de maintenir la cohésion. C’est l’ordre que je n’ai pas à mettre en cause. C’est quelque chose qui dompte mon chaos ou qui le retient afin que mon existence puisse durer. Cela n’a jamais être problématique pour moi, c’est essentiel à la vie. » La nature aujourd’hui ? C’est l’oeil et l’esprit de l’artiste.
Gageons qu’avec ce nouvel ouvrage « Nature art today », les artistes qui le composent, à travers leurs pratiques de peintres, de dessinateurs, de sculpteurs, de photographes, d’installateurs, etc., nous obligent, nous autres « regardeurs » (Duchamp), à appréhender la nature avec un oeil et un esprit toujours renouvelés.

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