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Nude Art Today 1, préface de Francis Parent

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Parler d’art, c’est parler de nu

C’est quasiment une tautologie historique : parler d’art c’est parler de nu. Mais parler de nu ce n’est pas seulement parler de corps, c’est aussi parler des rapports psychologiques, philosophiques, eschatologiques, sociologiques, politiques, etc., qu’ont toujours entretenu, réalité Humaine faite « chair » et réalités matérielles environnementales. Entre « Naturalité » constituantes et « Moralités » toujours à construire, cette mise en abyme du corps qui aura toujours fait, dans un Temps donné, l’identité de l’Homme, d’un Peuple, d’une Civilisation.
Ainsi, dès le Gravettien, il y a 25 000 ans, les Vénus de Lespugue ou de Willendorf, par leurs formes stylisées et opulentes ont-elles magnifié le corps des premières femmes de l’humanité comme symboles de fertilité. Il faudra attendre l’antiquité grecque pour que les canons de la beauté corporelle s’imposent de façon aussi indépendante et éclatante. « Canons » qui triomphèrent jusqu’à l’écrasement que leur feront subir pendant des siècles les diverses doctrines chrétiennes. L’historien de l’art Lucie-Smith note bien l’ambiguïté : « La manière dont est exprimée la terreur chrétienne à l’égard du sexe et le mépris du corps traduit l’attrait qu’exerce ce qui fait l’objet de cette crainte et de ce mépris ». La renaissance, avec sa nouvelle évolution de société, redécouvre l’art antique et adopte le nu « héroïque » qui, malgré des censures encore et toujours réactivées, deviendra dans toutes les formes de représentation, un thème de prédilection. Héros mythiques, allégories, personnages bibliques mais aussi personnalités d’Etats ont ainsi pu être représentés dans leur plus simple appareil. Un des plus beaux exemples est la fresque du Jugement Dernier de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine. Ses 400 personnages y étaient nus – y compris Jésus – mais ils furent voilés, sous l’ordre du Pape Paul IV, par un peintre du nom de Daniele Da Voltera, « artiste » dont l’histoire ne retiendra plutôt que son sobriquet de « braghettone »…!

L’exultation du nu

Le nu exulte sagement au 17eme siècle avec l’art Baroque (Rubens, Bronzino…) et plus érotiquement au siècle suivant, car la société et dons ses mœurs, évoluent vers une plus grande légèreté. Voiles, tissus soyeux et effets de transparence glorifient un corps voluptueux (Boucher, Fragonard…). Avec le Néoclassicisme, les réminiscences d’une antiquité plus austère affleurent (David, Gérard…) et il faut attendre Delacroix ou un Chassériau pour que le nu retrouve ses formes souples et sensuelles. Lors de la deuxième partie du 19eme siècle, deux scandales marquent l’histoire de l’art et donc celle du Nu ; l’Olympia de Manet et l’Origine du monde de Courbet. Le premier puisqu’on voyait pour la première fois, sans prétexte mythologique ou religieux, une femme ordinaire, nue, probablement même une prostituée, qui était peinte sans complaisance, dans une réalité, son « Réalisme » crû.
Le second (en contrepoint de la photographie naissante, en particulier celle de « nus » dont Courbet était collectionneur) puisqu’on y dévoilait enfin (se rappeler l’incroyable allusion pour l’époque – 1525 – de Dürer avec son « Portillon » et le « Stylet » pointant vers un nu allongé…) l’in-montrable, l’innommable du nu : l’entrejambe d’une femme en gros plan… Le choc fut si rude avec ce sexe largement exhibé qu’un siècle plus tard, l’œuvre ne sera visible (après un itinéraire tumultueux !) que parcimonieusement (avant d’être reçue récemment au Musée) derrière un tableau-paravent peint par Masson chez son propriétaire (symptomatique) d’alors, le psychanalyste Lacan… Tout comme La naissance de Vénus de Botticelli qui, en 1478, ne pouvait être admirée que par les amis proches de son commanditaire néo-platonicien éclairé…!
S’il il n’y a pas tellement de nu chez les Impressionismes c’est que l’intimisme individuel s’efface derrière le collectif de l’industrialisation naissante. Par contre, la dénudation progresse déjà sur les plages ainsi que la libéralisation des mœurs et ils contribuent à rendre cette thématique du nu plus conventionnelle, aidée en cela par la photo (de Marey à Hamilton,…) puis le cinéma ou la vidéo.
Le 20ème siècle devient, au gré de l’accroissement du capitalisme (exacerbation des libertés économiques engendrant tout de même de plus grandes libertés d’expression) le théâtre de toutes sortes d’extravagances. Les pratiques des avant-gardes feront du corps un objet d’expérimentation permanente : la fragmentation cubiste (Les demoiselles d’Avignon de Picasso, cet artiste qui disait ; « L’art et l’érotisme c’est la même chose »…) ; les déformations expressionnistes (Bacon) ; les pratiques surréalistes (sans oublier l’humour, cf. Oh ! Calcuta ! de Clovis Trouille) ; les expressions indirectes du corps nu (empreintes d’Yves Klein, Shiraga) ou bien directes (Journiac, Gina Pane, Arnulf Rainer ou Orlan s’inspirant directement de L’origine du monde de Courbet), etc. Toutes ces pratiques apportant aux artistes de ces dernières décennies une liberté sans borne puisque leur inspiration provient de cette vie même qui change alors extrêmement rapidement (T.V, informatique, média, internet, etc.).
Ce livre est donc un miroir de la diversité des pratiques artistiques actuelles qui vont aussi bien, quant à leurs techniques, de la peinture à la photo ou de la sculpture à l’imagerie numérique. Quant à sa thématique du « Nu », ce livre montre comment ses représentations, avec leur connotations, leurs charges, leurs exagérations, leurs refoulements, etc, ont été, sont et resteront, en corps, encore et toujours non seulement une source inépuisable d’inspiration pour les artistes, mais aussi le reflet impitoyable des sociétés qui les incluent.

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