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Guide des Ateliers d’Artistes, préface de Francis Parent

GAA

Avec les ateliers d’artistes, voir le monde plus richement

Qu’un amateur d’Art « Lambda » puisse, aujourd’hui, visiter des ateliers d’Artistes comme ceux ici répertoriés, est une chance exceptionnelle dont il doit mesurer combien seule l’Histoire a pu rendre cela possible et combien ce guide en est, pour la première fois, le vecteur privilégié. Car, bien entendu, ce lieu mythologique qu’est l’atelier est, historiquement parlant, plutôt un monde rimant avec « solitude », « recueillement » et « isolement » ( « Dans le secret des ateliers » titre d’ailleurs un ouvrage sur l’Art2 ). Mais c’est en même temps un lieu de création rendant possible le passage de ce monde intérieur personnel au Monde extérieur collectif, et inversement. De ce point de vue, le « premier atelier d’Artiste » se lirait dans la métaphore du « Mythe de la caverne » de Platon, avec, dessinées sur ses parois profondes, les ombres de la réalité extérieure, « matérialisant » ainsi la possibilité de rendre intelligible pour ces Humains « intérieurs », repliés, la Réalité du Monde extérieur.

Depuis, les ateliers d’Artistes se sont développés doucement jusqu’au Moyen Age, la ferveur religieuse devenant alors le principal moteur de la représentation figurale à contenus essentiellement apologétiques qui s’y réalisait. Cela s’est accéléré en même temps que se développait la nouvelle richesse de la Renaissance, mais c’est au XVIIème siècle que l’Art « s’officialisant » ( création de « l’Académie royale de Peinture et Sculpture » en 1648 ), certains Artistes deviennent « Peintre du Roi », rivalisant de richesses ( devenant parfois eux mêmes Collectionneurs ; c’est ainsi que se serait ruiné Rembrandt…) et que même les commandes religieuses peuvent se diversifier. Toujours des fresques, des plafonds, etc. mais aussi des tableaux « bougeables » comme d’autres marchandises ( exemple ; « L’enterrement du Conte d’Orgaz », du Greco à l’Eglise de Tolède, 1586 ). Et donc, aussi, des commandes « profanes » qui peuvent alors se multiplier avec, en particulier, les portraits de hauts dignitaires ( exemple ; « les Ménines » de Vélasquez, 1656 ). Jusque là, la fréquentation des ateliers d’Artistes se limite donc aux familles Royales, aux Noblesses, aux Clergés et quelques hautes personnalités sociales et culturelles. Il faut attendre le début (milieu du XIXème siècle ), puis l’affirmation ( fin XIXème ), de l’ « Ère industrielle », pour voir un renouvellement profond de cette fréquentation, dû au fait que le nouveau système « capitaliste » qui s’étend alors, crée une nouvelle classe plus aisée, la « Bourgeoisie », et que celle-ci entend aussi s’accaparer sa part de « noblesse artistique »…

Dualité intérieur/extérieur

Un tableau est symptomatique de ce passage, comme de cette dualité « extérieur / intérieur » toujours présente , c’est « l’Atelier » de Courbet (1855), dont le titre complet, plus révélateur, est ; « Allégorie réelle déterminant une phase de 7 années de ma vie artistique et morale ». S’y reconnaissent en effet « clairement » ( nouveauté du style « Réaliste » ), et en très grand format : au milieu, l’Artiste se peignant lui-même en train de peindre dans son atelier ( mise « en abyme » donc de la Philosophie « Réaliste » ) ; sur la partie gauche, des personnages qui sont, comme il l’écrit lui-même, « L’autre monde de la vie morale, le peuple, la misère, la pauvreté, la richesse, les exploiteurs, les gens qui vivent de la mort » , c’est-à-dire tous ceux qui, réellement ou allégoriquement, « n’ont pas leur place » dans cet atelier « reflet et du Monde » (« théorie du reflet et » du Réalisme). Sur la partie droite, d’autres personnages ; « Les amis, les travailleurs, les amateurs du monde de l’Art ». Et l’on reconnaît ici des « valeurs emblématiques » personnalisées, telles que Proudhon (chantre du Socialisme ), Baudelaire ( chantre de l’intellectualisation ), Champfleury ( chantre du « Réalisme » ), Bruyas (chantre des Collectionneurs avisés)…, c’est-à-dire, tous ceux qui, physiquement ou allégoriquement, sont « à leur place » dans ce nouvel espace artistique qui se joue alors.

Les intérêts particuliers et l’individualisme augmentant au rythme de l’affirmation ce cette nouvelle « Société de consommation », dans la première moitié du XXème siècle, les ateliers d’Artistes vont se multiplier ainsi que les divers « Salons » les regroupant, ou les diverses Galeries les représentant. Mais avec le corollaire que, plus certains Artistes seront reconnus du Marché ( exemple; Picasso ) et moins ils seront « accessibles » dans leurs ateliers…

L’atelier et la libéralisation de l’art

Et comme le nombre d’Artistes se démultiplie aussi en parallèle à la « libéralisation », tant du système marchand que du référentiel « esthétique » ( l’arrivée du 1er « Ready-made » de Duchamp est de 1917…), que les ateliers en ville deviennent de plus en plus chers, etc., les difficultés pour exposer vont s’accroître pour la majorité d’entre eux… Va alors s’affi rmer la nécessité pour ces Artistes ( idée accentuée par l’idéologie de « l’après Mai 68 » ) d’aller plus directement à la rencontre de leur public, par le biais de « Portes ouvertes » de leurs ateliers. Cela si ces Artistes ont des ateliers « légaux », sinon en investissant en masse des lieux de production abandonnés, en « squattant » donc, de grands espaces qu’ils pourront ainsi mieux faire partager, avec là aussi, des « Portes ouvertes » ( encore plus festives ) vers un plus large public devenu lui-même plus « acquis ». Se rappeler en effet que c’est dans ces lieux « alternatifs » que sont né la « Musique Techno » et les « Graffitis » ( qui, alors, étaient « sauvages »… et qui s’exposent aujourd’hui à la Fondation Cartier…). Relevons tout de même ici que si certains « Squatts » d’Artistes ont été « reconnus » par diverses instances ( ainsi du célèbre « Squatt » de la rue de Rivoli, dorénavant « officialisé » par la Mairie de Paris…), sur 490 d’entre eux ouverts à Paris depuis une quinzaine d’années, 472 ont été expulsés…

On l’aura compris, hormis ces « portes ouvertes » récentes, toujours circonstanciées et limitées dans le temps, « l’Atelier » est bien resté, jusqu’à aujourd’hui encore, ce lieu-refuge où un Artiste peut le mieux se ressourcer aux racines du Monde. Le sien propre donc, mais aussi celui de l’extérieur avec lequel il est toujours en tension, afi n de mieux faire « exploser » dans ses créations, « l’Imaginaire » qui le pétrit. C’est pourquoi l’amateur d’Art « Lambda » qui, dans ses pérégrinations estivales ou en voyage spécialement dédié, aura la chance de pouvoir pénétrer dans l’intimité créative d’un des Artistes retenus ici ( et cela donc, grâce à l’Histoire que l’on vient de survoler, mais aussi grâce à ce « Guide » unique en son genre…), de le faire ( par delà l’éventuel rapport mercantile ainsi facilité ) avec HUMILITÉ et DISCRÉTION…

Et pas seulement pour qu’il puisse ressentir au mieux la charge de chacune de ces « explosions » dévoilées pour lui spécialement, mais aussi pour que, une fois sorti de ce lieu magique, il puisse à son tour, gonflé de ces « souffles », voir le Monde plus richement…

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