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Portrait Art Today 2, préface par Francis Parent

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Le portrait, une analyse psychologique

Rodin disait en 1911 ; « Il n’y a pas de travail artistique qui réclame tant de perspicacité que le buste et le portrait. Une telle œuvre vaut une biographie ». Il n’est bien sûr pas question de faire cette « biographie » à l’occasion de la parution de ce 2ème tome sur «Le portrait ». Rappelons toutefois que nous en avions esquissé une large analyse lors de la parution du 1er tome en 2011 (2). Car, oui, c’est un nouvel ouvrage sur cette problématique que les Editions Patou publient, tout comme elles l’ont fait pour la problématique du « Nu » n° 1, puis n° 2, puis n° 3 et enfin celle de la « Nature » (3). Car, oui, la richesse de la création est là et elle se renouvelle sans cesse dans notre pays. Et les Editions Patou savent en magnifier les contours avec ces publications thématiques d’une qualité rare.
Dans ce 1er volume sur « Le portrait », l’analyse introductive était surtout esthétique et historique. Elle n’abordait pas tous les enjeux spécifiques à cette thématique. Par exemple ceux en relation avec la psychanalyse. Particulièrement ceux qui se nichent entre « portrait » et « autoportrait ». Ainsi des frères Van Gogh : Vincent qui fit de nombreux autoportraits et seulement 1 (sûr) de son frère Théo (alors qu’il lui aura envoyé 700 lettres !), Vincent qui se suicidait quelques mois après la naissance du fils de son frère que celui-ci avait choisi de prénommer Vincent…
Autre exemple mais plus fantasmatique : Bacon qui aimait à dire qu’il « détestait tout ce qui touche de trop près à la religion », mais qui fit quand même plus de 45 tableaux ( !) du Pape Innocent X (qu’il refusa toujours de voir « en vrai »…). Et qui reprenait une peinture du Titien sur le Cardinal Filippo Archinto, sauf que le voilage dont le Titien recouvre à demi son personnage, s’étend chez Bacon sur l’ensemble du tableau comme pour mieux se prémunir de ce prélat qui hurle…
Aspect plus psychologique qu’il faudrait aussi approfondir entre « portrait » et « masses ». Ainsi de l’omniprésence, sur les places publiques, des énormes portraits des dirigeants « bien aimés » de toutes les dictatures (cf. Mao). Mais aussi lorsque, on le sait moins, en Avril 1961, Warhol est invité à décorer le pavillon de l’état de New-York pour la Foire de Flushing Meadow et qu’il placarde sur le mur du bâtiment, en très grand format, les portraits des « 13 hommes les plus recherchés des Etats-Unis ». Il engendrait alors une vague de protestations importante obligeant le Gouverneur, N. Rockefeller, à faire disparaitre ces images (en fait, badigeonner) qu’il avait bien subodoré être dans l’interstice « infra-mince » (Duchamp) qui existe entre culture « Pop » alors naissante et « Psychologie de masse du fascisme » telle que l’avait magistralement analysée Wilhelm Reich…
Ainsi, déchiré ou rayonnant, torturé ou serein (etc.), le visage -le portrait donc (mais là aussi il faudrait approfondir les interactions entre ces 2 entités- se donne à voir, selon la célèbre expression d’Emmanuel Lévinas, comme « une épiphanie de l’Etre », l’Etre étant alors entendu dans la multiplicité infinie, tant de ses apparences (ce qui a conduit certains à faire des typologies de faciès dont on sait sur quel eugénisme cela a abouti…), que de ses intériorités (cf. les visages révulsés de Bacon !). On comprend alors mieux pourquoi l’essentiel des œuvres montrées lors de l’exposition organisée par les nazis en 1937, « L’Art dégénéré », était des portraits…

La portée psychanalytique du portrait

Aspect psychanalytique qu’il conviendrait aussi de plus approfondir chez certaines individualités. Ainsi de ce sculpteur de la Cour Viennoise du 18ème, Franz Xavier Messerschmidt qui, après des troubles psychiques importants, réalisa 80 têtes avec des expressions paroxystiques qu’il copiait sur son propre visage face à une glace tandis qu’il s’auto-meurtrissait… Une violence dont les « Actionnistes Viennois » modernes sont évidemment redevables comme l’indique la série de photos d’autoportraits d’Arnulf Rainer qu’il a intitulée justement ; « F. X. Messerschmidt » (1978). Ou comme chez cette autre artiste du « Body-Art », Orlan, qui s’est fait faire moult opérations du visage, opérations qu’elle proposait même de transmettre en direct à la télé, affirmant ; « Je suis en train de faire un autoportrait psychologique que j’affiche, que je mets en forme » (1991).
Il y aurait aussi une analyse plus précise à faire de la définition morphologique de l’entité « portrait ». En effet, ont été appelés « portraits », aussi bien des représentations de bustes (comme celui de « Mona Lisa », Léonard de Vinci, 1510 ) que des représentations de personnages en pied (tels « Les ambassadeurs », Holbein le Jeune, 1533 ), aussi bien des portraits équestres (comme « Napoléon », J.L. David, 1800) que, plus récemment, des faciès découpés en plans très serrés comme chez Warhol (« Marylin », 1964).
Par contre, notons que la notion de silhouette, le profil d’un visage, n’ont guère changés depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Pline l’Ancien raconte ainsi la légende de l’invention du portrait-profil ; un jeune soldat, avant de partir rejoindre son régiment, visite sa fiancée, la fille du potier Butades de Sicyone. Une lanterne projetant l’ombre du garçon, la jeune fille traça dans la terre le contour de cette ombre gardant ainsi au plus près le souvenir de celui qui allait partir peut-être à jamais. Il n’y a donc pas grand-chose de changé, de Pline l’ancien à Marcel Duchamp qui réalise son « Auto-portrait » (1959) découpé dans du papier bleu pausé sur un fond noir, accentuant ce profil « déchiré » (« Déchiravit » était un des surnoms que s’était donné Duchamp. Celui-ci aimait jouer avec les mots ; ici il faut entendre un mix entre « déchire à vie », « déchire ravi », « déchira vite »).

L’autoportrait

Il faudrait d’ailleurs réaliser une étude spécifique sur « l’Autoportrait » tant il est abondant dans l’histoire de l’Art depuis Giotto ou Rembrandt, jusqu’à Warhol ou Roman Opalka, en passant par Van Gogh ou Courbet (ah, son autoportrait en « Désespéré » de 1841 !).
Il faudrait aussi aborder la question de la valeur financière du portrait en tant que tel, car le visage (faire face à ses obligations…) et évidemment, plus encore, ce qui le modèle, c’est-à-dire le crâne, sont des signes évident de « Vanités » avec tout ce qui s’y rattache ; bien sûr l’angoisse de la finitude -cf. les « Actions » de Pierre Pinoncelli ou les investigations d’André Chabot…- mais aussi la jouissance de l’incomparable possession. Ainsi de « For the love of God » de Damien Hirst, un moulage en platine d’un crâne humain incrusté de 8601 diamants qui s’est vendu récemment 60 millions de dollars et que le célèbre historien de l’Art néerlandais Rudi Fuchs a osé définir comme « un crâne céleste, presque divin »…
Il faudrait aussi questionner le format de l’œuvre, car si la grande majorité des portraits de l’histoire de l’Art a été réalisée à l’échelle 1/1 afin de mieux leurrer le « regardeur » (Duchamp ), il existe des exceptions notables depuis les têtes imposantes en pierre des Moaï de l’ile de Pâques jusqu’aux têtes énormes en polyester du sculpteur hyperréaliste actuel Ron Mueck.
On peut aussi se demander : quels artistes mettre dans un tel ouvrage thématique ? Ceux qui n’ont fait que du portrait durant toute leur carrière ; ceux qui en ont fait parfois ? Dans le premier cas il n’y aurait que très peu d’artistes, tels Chuck Close aux Etats-Unis ! Dans le second cas il y aurait quasiment tous les artistes puisque chacun de ceux-ci a réalisé au moins un peu de portraits lors de ses études artistiques !
Le parti-pris ici a donc été de sélectionner les artistes –d’abord et avant tout, bien sûr sur le critère de qualité de leur travail- mais qui ont travaillé essentiellement, ou souvent, sur cette thématique du « portrait ». Et cela, des artistes les plus renommés internationalement, comme Chuck Close ou Matthew Barney, jusqu’à des découvertes étonnantes comme celles de David Mach ou Joe Black. Dans la volonté ensuite de couvrir le choix le plus large des techniques d’expression, de la peinture classique à la photo, de la sculpture à la vidéo, du dessin à l’art numérique (etc.). Comme de couvrir le choix le plus large des formes d’expression, de la figuration traditionnelle à l’expressionnisme, du péri-abstrait au réalisme (etc.).
On le voit avec ces quelques questionnements (et bien d’autres possibles !) il y a encore de quoi analyser pour les prochaines publications ! Car, oui, il y aura de prochains tomes sur « Le portrait » -comme pour les autres problématiques évoquées- ce qui permettra aux Editions Patou de rester toujours à la crête de l’actualité artistique et, en l’occurrence, comme ici, de voir comment avec ces 100 visages (et plus !), la création d’aujourd’hui s’envisage…

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